La solution nous vient du Brésil. Et puisque nous en sommes à imiter les Brésiliens, chiche !
(cf.
http://geopolis.over-blog.net/article-4004293.html)
Dans les années 60, Rio de Janeiro était, à ce qu'il paraît, une ville parfaitement sûre. Puis est venu l'exode rural et des populations des campagnes, poussées par des périodes de sécheresse ou attirées par le développement des grandes villes, ont afflué. Pauvres et déracinées, n'ayant guère les moyens de se loger en ville, elles se sont entassées dans des logements de fortune dans des zones péri-urbaines dépourvues d'infra-structures, mais où l'on pouvait s'installer sans permis de construire. Même si les logements ont été depuis reconstruits en dur et si les structures et services ont fait leur apparition (tout le monde a la télévision...), ces zones sont devenues des foyers de délinquance. Ce que nous appelons bidonvilles, se nomme là-bas
favelas. A Rio cependant, du fait des spécificités de la topographie, les nouveaux venus, au lieu d'être tous rejetés en périphérie, ont trouvé place sur les collines qui parsèment la ville, avec vue imprenable sur les beaux quartiers. Le laxisme et la corruption des dirigeants politiques locaux ont fait le reste. Les maires successifs ont fermé les yeux lorsque les trafiquants de drogue se sont installés et l'accroissement de la violence est devenu exponentiel. Les hurluberlus qui, après les émeutes dans nos banlieues en 2005, se réjouissaient que celles dominées par les trafiquants fussent restées calmes, feraient mieux de se renseigner. La délinquance et les trafics en tous genres sont étroitement liés.
Depuis des années maintenant, vols à main armée, trafic et consommation de drogue, enlèvements contre rançon, attaques de commerce, autoroutes-jacking (on dévalise non pas une voiture, mais toute une bretelle d'autoroute embouteillée...), meurtres et échanges de coups de feu entre factions mafieuses pour le contrôle des collines et des points de vente de cocaïne sont monnaie courante dans les principales villes du pays. Résultat : l'homicide est devenu la plus grande cause de mortalité chez les jeunes de 15-24 ans. En 2001, à Rio de Janeiro, sur 100 morts dans la classe d'âge 15-19 ans, 65% avaient été tués par arme à feu... En moins d'une vingtaine d'années, le nombre des Brésiliens assassinés a augmenté de 237% ! Et selon l'ONU, le Brésil est le premier pays du monde pour le nombre des tués par balle. Les habitants de Rio disent d'ailleurs qu'il y a au jour le jour plus de meurtres chez eux qu'à Bagdad... Etre réveillée vers les 3h du matin par des tirs d'armes automatiques et autres explosions de grenades venant de la
favela voisine (parce qu'à Rio on est toujours dans le voisinage d'une
favela, même à Ipanema), la première fois, ça surprend ! Alors je veux bien les croire.
Si l'on considère maintenant la situation actuelle des banlieues françaises abandonnées aux trafics mafieux avec la complicité tacite des autorités locales et des services de l'Etat... il est flagrant que la France chemine à grands pas dans la même direction. Causes comparables, mêmes effets. Paris, Marseille, Lyon, Toulouse... seront bientôt aussi dangereuses que Rio ou Sao Paulo. Mais cela restera cantonné aux banlieues, me répondront plaisamment les habitants des centre-ville. Que nenni ! Les transports en commun et les véhicules automobiles sont faits pour se déplacer. Sans compter que, sous couvert de logements sociaux, plusieurs cités forment déjà des abcès de fixation de la délinquance en plein Paris... Une croissance exponentielle, je vous dis. Alors que faire ?
Rio de Janeiro, août 2006 (photo de Cécile) Eh bien, les habitants de Rio ont enfin trouvé la solution. C'est venu d'une
favela, Rio de Pedras dans le quartier de Jacarepagua, où depuis quelques années on n'a plus revu le bout du nez d'un seul trafiquant et la délinquance a disparu. Fini de chez fini ! Il y a déjà une thèse de doctorat sur le sujet à l'Université catholique de Rio de Janeiro. Comment ? Par quel miracle ? On le comprendra mieux à travers l'article que je traduis ci-après, trouvé sur le blog d'un officier de police chargé de superviser les opérations de sécurité dans l'Etat de Rio. Parce que, oui, au Brésil, le chef de la police a un blog et ce n'est pas de la langue de bois...
Mais d'abord, quelques mots sur l'auteur, qui est tout sauf un plaisantin. Mario Sergio de Brito Duarte, lieutenant-colonel de la Police Militaire (l'équivalent de notre police nationale) de l'Etat de Rio de Janeiro, ancien commandant de l'Académie de Police Militaire, ancien commandant du Bataillon des Opérations Spéciales, ancien conseiller à la Mairie de Rio sur les questions de dépendance aux stupéfiants, est aussi universitaire, philosophe, écrivain (
Incursionando no Inferno : A Verdade da Tropa, RJ, 2006) et consultant auprès de divers organismes et institutions tels que la Secrétairerie des Droits de l'homme de l'Etat de Rio de Janeiro ou le Conseil Anti-drogues de la ville de Blumenau dans le Sud du Brésil. Son blog s'intitule "Securité publique : Idées et Actions"...
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Les milices locales dans les favelas de Rio http://marius-sergius.blogspot.com/2006/09/milcias-locais-nas-favelas-do-rio.html 20 septembre 2006
Ces dernières années, un phénomène social nouveau est apparu et s'est développé dans plusieurs
favelas de la ville de Rio de Janeiro - nouveau pour les habitants de Rio, mais pas inconnu des sociétés marquées par la violence et le banditisme effréné. Il est de notoriété publique [au Brésil en tout cas] que des quartiers pauvres, cibles de prédilection des cartels de narco-trafiquants, sont passés sous le contrôle d'une sorte de service de police assuré par des organisations illégales qui en règle générale regroupent des policiers et d'autres membres des forces de sécurité, militaires, mercenaires, pompiers, gardiens de prison et vigiles.
Ayant pour objectif premier de préserver les habitants du trafic de drogue et de ses conséquences néfastes, notamment la structure paramilitaire des trafiquants qui réduit les habitants en esclavage et provoque des luttes sanglantes entre factions rivales pour le contrôle du terrain, sans compter les affrontements avec les forces de police, ces nouveaux groupes - les milices, - tout aussi illégaux mais généralement bien vus par la population, se multiplient et sont en passe de devenir une forme de police sociale complémentaire.
Je parle de contrôle social parce que, outre la surveillance effective d'un territoire donné, les milices connaissent bien la vie quotidienne des habitants, ce qui leur permet de repérer toute anomalie, et contrôlent aussi les individus de passage, marchands ambulants, visiteurs, travailleurs sociaux, etc.
On peut analyser comme suit les avantages et les inconvénients de ce type de "police locale", créé pour pallier les lacunes de l'Etat dans les missions régaliennes qui sont les siennes.
Avantages de l'implantation d'une milice Les quartiers ainsi protégés se voient libérés de l'ultra-violence des trafiquants et des actions monstrueuses qui résultent de leur stratégie d'intimidation et de terreur. Pour prendre un exemple, la nouvelle coutume [chez les narco-trafiquants brésiliens] est d'immoler les habitants mécontents ou tous ceux qui osent se plaindre d'eux, de les découper vivants, en d'atroces souffrances, pour jeter les morceaux à des animaux affamés, en général des porcs...
La disparition du trafic, la disparition de l'offre, préservent les enfants et les adolescents de ces quartiers de l'exposition aux drogues et de la tentation d'y céder, ce qui en principe tient déjà lieu de prophylaxie et facilite la vie des parents et la tâche des éducateurs.
Les quartiers se voient aussi épargner les opérations de police dont, pour des raisons évidentes, on ne peut garantir que les échanges de coups de feu à l'arme automatique avec les trafiquants ne tueront pas des victimes innocentes, et notamment des enfants, comme c'est arrivé tant de fois. En soi, les armes des trafiquants sont une cible beaucoup plus importante pour la police que les saisies de drogue et, en l'absence de narco-trafic, elle peut faire porter ses efforts sur d'autres domaines.
Les quartiers se trouvent également libérer des guerres de factions qui tuent aussi bien des trafiquants que des innocents et donnent lieu à une persécution systématique à l'encontre de tous les proches des "soldats" du camp adverse, si on parvient à les dénicher. Une fois les trafiquants chassés, l'interdiction par les milices de toute apologie de ces bandes mafieuses libère les quartiers de la culture de haine entre bandes rivales qui ailleurs ne cesse de s'accroître.
Enfin, dans les quartiers ainsi libérés, les autres crimes et délits qui affectent les habitants tels que vols et cambriolages, disparaissent également. Les habitants retrouvent alors confiance et sérénité, puisque ces crimes et délits sont justement parmi les plus redoutés.
Inconvénients de l'implantation d'une milice Les quartiers passent à dépendre d'une autorité illégale et tombent sous le gouvernement de personnes non élues par le suffrage citoyen. [Il faut quand même rappeler que les trafiquants non plus ne sont pas élus !]
Plusieurs services publics comme la fourniture de gaz, les transports, les taxes sur les ventes de biens meubles et immeubles deviennent monopole des milices.
Certaines activités illégales comme le piratage de la télévision par câble (le "Matounet") sont introduites ou, reprises aux trafiquants, se poursuivent.
Les litiges et conflits qui, en temps normal, devraient être tranchés par la justice, sont résolus sur place d'autorité et souvent contre la volonté des plaideurs.
Les fêtes et manifestations publiques de quelque nature qu'elles soient sont soumises à autorisation de la milice.
Enfin, et sans prétendre épuiser ici le sujet, les représentants démocratiques, en particulier les associations d'habitants peuvent être soumis à des pressions diverses, comme il arrive aussi aux quartiers dominés par les trafiquants...
Telles sont quelques-unes des questions que soulève le phénomène des milices des
favelas de Rio.
M.S. de Brito Duarte
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Pour résumer donc, des milices constituées de policiers, de militaires hors de leurs heures de service, d'anciens policiers et assimilés, sont en train de reprendre aux trafiquants de drogue le contrôle des
favelas de Rio de Janeiro. Ils investissent le terrain
manu militari, exécutent les trafiquants, expulsent leurs familles et font construire un mur de sécurité autour du quartier. Plusieurs dizaines ont déjà été libérés. Ces milices vendent leur protection moyennant une taxe d'environ 15 reais (5,50 €) par logement et un pourcentage sur les transactions. Les résultats des sondages sont sans appel : la population préfère les milices aux trafiquants. Et cela se comprend !
Bien sûr, c'est parfaitement illégal, mais si l'Etat faisait son travail, on n'en serait pas là. Et comme le faisait remarquer un Brésilien, on ne voit pas pourquoi, quand un riche se paye des gardes du corps à 200 $ (150 €), un pauvre n'aurait pas le droit de payer 15 reais pour sa sécurité. Le gouvernement brésilien et la mairie de Rio sont donc en train de réfléchir à la légalisation des milices...
Deux bus incendiés... Non, ce n'est pas Clichy-sous-Bois, mais une rue de Rio à proximité de la favela de Mangueira encore aux mains de trafiquants de drogue fortement armés qui ont ainsi voulu se venger de la mort de deux des leurs le 16 janvier 2007 Et la France ? Lors des émeutes de l'automne 2005, le Ministre de l'Intérieur avait manifesté son opposition catégorique à l'éventualité de la constitution de milices de quartier : ce n'était pas sa conception de la sécurité. Mais dans le même temps, il interdisait formellement aux unités de CRS mobilisées pour l'occasion de pénétrer dans les cités : "pour ne pas provoquer"... Interdire l'auto-défense et entraver la police, n'est-ce pas la quadrature du cercle ? N'est-ce pas livrer les habitants au bon vouloir des criminels ? Faut-il donc se résoudre à abandonner les quartiers pauvres aux mains des délinquants et des trafiquants de drogue ? Aujourd'hui, les Français ne semblent pas prêts à se défendre, mais demain, si l'Etat continue d'être défaillant...
Les chiffres de l'insécurité sont mauvais ? Demain ce sera pire ! Et quand j'affirme que Paris va devenir aussi dangereux que Rio, je fais encore preuve d'optimisme. Au Brésil, honnêtes gens et trafiquants appartiennent à une même population. La violence est seulement générée par le trafic. Si la cocaïne est destinée aux habitants des beaux quartiers, les enfants pauvres se droguent à la colle. Vingt mots de vocabulaire, la cervelle en compote, sans repères, ils peuvent être ultra-violents si vous faites mine de refuser votre porte-feuille. Mais ils ne vous haïssent pas. Vous me direz, avec ou sans haine, quand on se prend une balle dans la tête, le résultat est le même ! Mais en France, à la convoitise du voleur, s'ajoute la haine du "jeune" pour tout ce qui ne lui ressemble pas : le Français, le Blanc, la Femme occidentale, nous. Il ne s'intéresse pas qu'au porte-feuille ou au portable, il s'amuse à humilier. Alors ça promet ! Toujours est-il que si l'on veut vraiment imiter les Brésiliens, il y a une solution simple, efficace et radicale à la violence dans les banlieues. Juste une question de volonté.